Assise sur le bord de son lit, recroquevillée sur elle-même, la jeune fille respirait difficilement. La fumée de la cigarette envahissait peu à peu la pièce vide. C’était un appartement sale, rien n’était rangé, il semblait être un non-sens, un signe de perdition. Peu de personnes avaient la chance de découvrir cet antre ; et quand ils y étaient confrontés ils ne pouvaient qu’être bouleversés. Cela semblait être un cri d’alarme, un cri intérieur qui n’arrivait à sortir ouvertement. Noyée dans ses larmes et dans l’alcool, la silhouette de Felicity n’était plus que celle d’un fantôme.
Il est vrai que depuis le décès de son mari, la demoiselle ne voyait plus l’intérêt de continuer la vie comme elle la menait. Que de malheurs s’étaient abattus sur elle : ses parents l’avaient reniée lorsqu’elle s’était mariée à un ouvrier indigne d’elle selon eux, et n’ont pas changé d’avis quand il est mort, au contraire ils se voyaient soulagés, sans souhaiter lever le petit doigt pour leur fille ; elle se fut renvoyer de son boulot. Petit à petit, elle remontait la pente, avait trouvé un travail où elle occupait le poste derrière le bar. Mais tout ça n’était que décadence pure.
Elle tourbillonnait dans un monde insensé, elle s’inventait ses propres règles, pour éviter de s’intégrer à la formalité. Elle avait changé, si rapidement. Elle ne dormait quasiment plus jamais chez elle, elle enchaînait les conquêtes et squattait leurs appartements sans remords. Elle sentait un besoin enfoui de se sentir désirée, pour après fuir, comme s'il s'agissait uniquement d'une revanche inassouvie. Elle avait arrêté de cuisiner, ce qui était chez elle, une de ses particularités les plus charmantes.
Elle observait au loin, au travers de sa fenêtre. La fumée sortait délicatement de sa bouche, l’inconnu au bas de sa porte aurait probablement fait n’importe quoi pour être cette fumée, et être de si près de cette belle enfant. Ses yeux perçaient tout ce qu’elle voyait. Les étrangers voyaient en elle un sourire brisé, il y avait dans cette silhouette quelque chose d’irrécupérable. Elle était perdue, en réalité. Plus rien ne pouvait ranimer la flamme qui vivait en elle autrefois, avec une fugacité imprenable.
Elle lança avec dédain la cigarette finie sur le cendrier le plus proche. Ses pas étaient aussi légers que ceux d’une biche, mais on percevait dans sa démarche quelque chose de subtilement abîmé. Elle se promenait dans l’appartement sans savoir où aller, toutes les photos étaient retournées, la pile de linge sale augmentait sans relâche, c’était à se demander où elle se procurait des fringues propres. Le frigo était vide, la vaisselle n'était pas faite. A vrai dire, elle avait déjà même songé à acheter des couverts en plastique et des assiettes en cartons.
Elle regarda son horloge, d’un air désespéré. Il était déjà dix huit heures passées, à dix neuf heures, elle devait être à son travail. Elle soupira, comme si elle s’attendait à ce que quelqu’un l’entende. En vain. Elle fila sous la douche.